Énigme historique, assurément ! Mythe, également ! Qui n’a pas entendu parler de la « Bête du Gévaudan » ? Que d’encre n’a-t-elle pas fait couler ! Les victimes sont bien là, bien réelles ; les registres et documents officiels en témoignent de façon indéniable.
| SUR LE CHEMIN DE LA BÊTE DE GÉVAUDAN
Extraits du « précis d’histoire du Gévaudan rattaché à l’histoire de France » par Albert Grimaud et Marius Balmelle
« Cette bête fameuse, qui a popularisé le nom de notre territoire, commit ses premiers méfaits sur les limites du Vivarais non loin des sources de la rivière Allier, au village des Hubacs, sur la paroisse de Saint-Etienne de Lugdarès (Ardèche), Jeanne Boulet, jeune-fille de 14 ans a été dévorée par une bête féroce, fin juin 1764. Le 8 août 1764, une fille de 15 ans était dévorée à Puylaurent. En septembre, elle faisait des victimes dans les paroisses d’Arzenc, de St Flour de Mercoire, de Rocles. Au cours des semaines qui suivirent, des enfants et des jeunes gens furent attaqués et dévorés en plusieurs localités.
La peur s’emparait des populations ; les routes restaient désertes, on n’allait plus garder les troupeaux, les voyageurs marchaient en caravane et armés. L’imagination entrant en jeu, faisait apercevoir la bête sous l’apparence d’un monstre : il était « à peu près de la grandeur d’un âne, le poitrail fort large, la tête et le corps fort gros, les oreilles plus longues que celle d’un loup, le museau à peu près comme celui d’un cochon. Ses yeux, qu’il a à peu près comme ceux d’un loup, sont sous une houppe de poils fort longs. On entend un bruit sourd comme celui d’un chien qui veut aboyer. Il traîne le ventre contre terre et bat ses flancs de sa queue extrêmement longue et touffue, d’une force horrible ».
La bête s’attaquait de préférence aux personnes faibles ; enfants, femmes, vieillards. De juin 1764 à mars 1765, elle dévora ainsi ou blessa grièvement 26 personnes. Malgré les battues des paysans, on ne pouvait l’atteindre.
| UNE RÉCOMPENSE OFFERTE À CELUI QUI TUERAIT LA BÊTE
Le comte de Moncan, commandant de la province du Languedoc, envoya donc une compagnie de dragons du régiment des volontaires de Clermont, sous les ordres de Duhamel. 1200 paysans se joignirent ainsi à eux pour les battues. La bête disparaissait alors. Cependant, Duhamel écrivait, le 16 décembre 1764 à l’intendant d’Auvergne, qu’elle avait dévoré une fille à deux lieues de Saint-Chély-d’Apcher, « en lui sautant au col, qu’elle arracha des épaules en emportant la tête ».
Afin d’encourager les chasseurs, les syndics de Mende et de Viviers publièrent en novembre, qu’il serait donc accordé une récompense de 200 livres à celui qui délivrerait le Gévaudan du monstre. Les États du Languedoc ajoutèrent 2000 livres à la première somme.
Mgr de Choiseul, par son mandement de décembre 1764, ordonna ainsi des prières publiques, comme en période de grandes calamités. Quelques jours après et au cours du mois de janvier 1765, le féroce animal égorgeait alors plusieurs filles et femmes. Le 12 janvier 1765, dans la paroisse de Chanaleilles, il attaquait 7 enfants qui se défendirent courageusement et le mirent en fuite.
| LETTRE DE DUHAMEL À L’INTENDANT DU LANGUEDOC
Le 20 du même mois, Duhamel le dépeignait ainsi, dans une lettre adressée à l’intendant du Languedoc : « cet animal est de la taille d’un taureau d’un an ; il a les pattes aussi fortes que celles d’un ours, avec 6 griffes à chacune, de la longueur d’un doigt. La gueule extraordinairement large, le poitrail aussi fort que celui d’un cheval, le corps aussi long qu’un léopard, la queue grosse comme le bras et au moins de quatre pieds de longueur ; le poil de la tête noirâtre, les yeux de la grandeur d’un veau et étincelants, les oreilles courtes comme celles d’un loup et droites ; le poil du ventre blanchâtre, celui du corps rouge avec une raie noire, large de quatre doigts depuis le col jusqu’à la naissance de la queue ».

Une battue générale opérée en février 1765 par les habitants de 72 paroisses du Gévaudan, d’une quarantaine de l’Auvergne et d’une vingtaine du Rouergue, fit alors débusquer la bête qui poursuivie, laissa des gouttes de sang sur la neige. Mais les localités de la Margeride et de l’Aubrac eurent, peu de jours après, à déplorer de nouvelles victimes ; dans la paroisse de Fournels notamment deux femmes furent attaquées. L’une d’elles eut la tête lacérée et la gorge emportée, l’autre, les habits entièrement déchirés.
Louis XV lui-même, qui venait de finir la guerre de sept ans, s’intéressa alors à la bête. Il envoya donc en Gévaudan, pour diriger les chasses, un des meilleurs louvetiers du royaume, d’Enneval, gentilhomme normand. Duhamel, avec ses 56 dragons, quittait Saint-Chély le 7 avril 1765.
| MALGRÉ DE NOMBREUSES BATTUES, LA BÊTE CONTINUAIT DE SÉVIR
La chasse recommença. Une battue, le 21, à laquelle 10000 hommes participèrent, ne donna aucun résultat. Une louve fut tuée le 23 ; « on lui trouva dans le corps quelques chiffons d’étoffe », écrivait d’Enneval fils. La liste des victimes s’allongeait…
D’Enneval ne réussissant pas à débarrasser la province de ce fléau, le roi désigna alors pour une nouvelle expédition Antoine de Beauterne, son lieutenant des chasses et porte-arquebuse, avec un détachement de ses gardes-chasse et une meute de 13 chiens. Dans une battue organisée le 20 septembre 1765, on crut alors avoir tué la Bête. C’était un loup aux muscles du cou énormes. Antoine, pour ce beau fait, reçu ainsi la croix de Saint-Louis et 1000 livres de pension. A son fils, on octroya également une compagnie de cavalerie. ll se vit remettre également « indépendamment de 200 000 livres qu’il leva dans Paris en faisant voir cet animal ».
Mais le monstre n’était pas mort. En décembre 1765, un jeune homme fut blessé et une fille dévorée. Le marquis d’Apcher prit donc la direction des battues. Elle étaient opérées dans la région de Saugues où le cruel animal paraissait avoir son gîte. Jean Chastel, de la Bessière-Sainte-Marie, eut l’honneur de tuer le fauve le 19 juin 1767. C’était un très gros loup. Dans l’estomac de celui-ci on trouva l’os de l’épaule d’une jeune fille qu’il avait dévorée quelques heures auparavant ? Transporté à Paris, Buffon l’examina et reconnut que c’était un loup, d’une taille et d’une force exceptionnelle.
Les ravages ayant cessé, les États du Languedoc et du Gévaudan allouèrent des gratifications à l’heureux chasseur.
Les actes de la « bête » furent-ils dus à un seul carnassier, à plusieurs ou même à un fou sadique ?




| LAISSEZ-VOUS EMBARQUER AU CŒUR DE L’HISTOIRE
| L’HISTOIRE DE LA BÊTE À CHANALEILLES, L’ÉPISODE JACQUES PORTEFAIX (1753 – 1785)
Depuis six mois, la bête court la campagne de Margeride, faisant de nombreuses victimes. Organisées par le capitaine Duhamel, plusieurs battues ont alors eu lieu, sans résultat ; la bête court toujours.
Le 12 février 1765, sept petits bergers du village du Villeret d’Apchier sur la paroisse de Chanaleilles ont mis la bête en fuite. Il s’agit de Madeleine Chausse, Jeanne Gueffier, Jean Veyrier, Jacques Couston, Joseph Pannefieu, Jean Pic et à la tête de cette petite troupe le plus âgé Jacques Portefaix, 11 ans.
La nouvelle parvint à Mende chez le subdélégué de l’intendant du Languedoc. Il en informa donc aussitôt l’intendant du Languedoc à Montpellier. Mesurant alors le courage des enfants, l’intendant octroya à Jacques Portefaix une récompense de 300 livres, ainsi qu’une pareille somme à verser aux autres enfants.
À son tour, il signala la vaillance de la petite troupe au contrôleur général des finances, à Paris : Monsieur de Laverdy.
Par l’intermédiaire du journal lu quotidiennement à la cour de Versailles, l’affaire du Villeret d’Apchier fut connue de tous. À Versailles, comme à Paris, on admira alors l’intelligence et le sang-froid de Jacques Portefaix.
Monsieur de Laverdy informa Sa Majesté le Roi Louis XV. Très touchée par l’attitude de notre héros, Sa Majesté décida de le récompenser. Une lettre va bouleverser la vie de ce jeune berger de Margeride. Cette lettre signée par Monsieur de Laverdy a été adressée à Monsieur de Saint Priest, intendant du Languedoc à Montpellier.
| LA LETTRE DE MONSIEUR DE LAVERDY À MONSIEUR DE SAINT PRIEST
« Paris, le 19 février 1765
Monsieur,
Les détails que contient la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire concernant la bête féroce qui désole le Gévaudan, m’ont paru assez intéressants pour être mis sous les yeux du Roi. Sa Majesté a été véritablement affligée des nouveaux ravages que cet animal a causés, mais la résistance et l’espèce de petit combat qui lui a été livré par la jeune troupe à la tête de laquelle était le nommé Portefaix a fixé particulièrement son attention. Elle approuve que vous lui fassiez délivrer une gratification de 300 livres ainsi que vous me l’avez proposé et elle vous autorise à faire distribuer une pareille somme à ses petits camarades.
Le Roi a admiré comment un enfant de cet âge a montré tant de courage et de fermeté dans une circonstance aussi dangereuse et ce trait particulier a frappé Sa Majesté au point qu’elle désire savoir à qui cet enfant appartient et s’il a déjà eu quelque éducation, ou s’il serait susceptible d’en recevoir une convenable et d’être utilement formé à l’art militaire auquel ses talents naturels et ses dispositions semblent le rendre propre. Procurez-moi, je vous prie sans perdre de temps, sur le compte de cet enfant des éclaircissements assez étendus pour que je puisse mettre le Roi en état de me donner des ordres sur cet objet et d’en prendre soin. Je suis, Monsieur, votre très humble et très affectionné serviteur.
Signé Laverdy. »
Jacques Portefaix fut élevé aux frais de l’État, parti à Montpellier faire des études, il devint officier des armées du Roi.